Notre nouveau Ministre de l’Economie, Monsieur Michel SAPIN, a présenté, le 28 septembre dernier, le projet de Loi de Finances pour 2017 qui comprend pour les personnes physiques, l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2018[1]. Cette réforme a été évoquée à de nombreuses reprises durant les trente dernières années mais aucun gouvernement n’avait encore franchi le pas. Reste à savoir si le moment et la méthode sont bien choisis étant donné le contexte économique.
Le texte du projet de Loi, outre le prélèvement à la source pour les contribuables et d’autres dispositions purement électoralistes, contient principalement des mesures à destination des entreprises (à hauteur de 5 milliards d’euros) ; Il sera examiné, discuté et voté par nos parlementaires à l’automne, et promet un débat animé étant donné la future échéance électorale et la fébrilité du Gouvernement.
A ce stade, cette réforme, si elle entrait en vigueur, constituerait une véritable révolution fiscale car elle modifierait les modalités de recouvrement de l’impôt sur le revenu pour près de 98% des contribuables. Elle mettrait fin au décalage d’un an entre la perception des revenus et le paiement définitif de l’impôt, même si beaucoup de français sont mensualisés. Il y aurait dès lors concomitance entre le versement de l’impôt et la perception du revenu. Certains ont parlé de « contemporainisation » des acomptes d’impôt avec un paiement sur douze mois, et non dix ou par tiers provisionnel.
Nous vous présentons le nouveau système du paiement de l’impôt « en temps réel » tel qu’il est proposé dans le projet de Loi pour le bénéficiaire du revenu. Nous précisons qu’une actualisation sera nécessaire durant le débat parlementaire puis, après le vote de la Loi de Finances pour 2017, et de la Loi de Finances rectificative pour 2016, mais également en 2017 et 2018.
Les contribuables et les revenus concernés
Le prélèvement à la source concernerait les salariés, les dirigeants percevant un salaire, les bénéficiaires de retraites et de pensions, de revenus de remplacement (allocations chômage, maternité…etc). Seraient également visés les professionnels indépendants, les professions libérales, les commerçants, les agriculteurs, les propriétaires percevant des revenus fonciers et les bénéficiaires de pension alimentaire.
Pour les indépendants et les contribuables percevant des revenus fonciers, le prélèvement interviendrait sous la forme d’acomptes mensuels ou trimestriels déterminés suivant les bénéfices nets imposables de l’année N-2 pour les versements de janvier à fin août 2018, et N-1 pour les versements de septembre à décembre 2018.
En revanche, seraient exclus du dispositif les revenus dits exceptionnels (Les indemnités de départ, les plus-values immobilières ou mobilières), les revenus soumis à une retenue à la source et les revenus de source étrangère (sous conditions). Ces revenus exceptionnels seraient toujours imposés en N+1.
Le champ d’application du prélèvement serait donc très large et concernerait des personnes pouvant piloter leurs revenus, c’est pourquoi des mesures spécifiques « anti-optimisation » seraient prévues, comme nous le préciserons par la suite.
Détermination et transmission du taux de prélèvement à la source
Le futur système, pour être mis en place et fonctionner efficacement, serait basé sur la transmission des données, de manière dématérialisée, entre le tiers verseur (collecteur) de l’impôt, c’est-à-dire l’entreprise, la caisse de retraite ou Pôle Emploi, et l’administration fiscale.
Ainsi, dès l’été 2017, l’administration fiscale communiquerait à l’organisme verseur, le taux à appliquer avant versement du revenu au contribuable, après l’avoir elle-même préalablement déterminé. La transmission se fera par la Déclaration Sociale Nominative[2] (« DSN ») pour les payeurs de revenus salariaux, et par un « échange de fichiers s’inspirant de ce système » pour les caisses de retraite, et Pôle Emploi notamment.
L’assiette du prélèvement serait constituée, pour les salaires, du montant net imposable après déduction des cotisations sociales et de la fraction déductible de la CSG mais avant déduction des frais professionnels. Le prélèvement ne prendrait pas en compte les crédits et réductions d’impôt qui donneraient donc lieu à ajustement l’année suivante une fois les revenus N-1 définitivement connus par les services fiscaux. Ainsi, certains contribuables seraient amenés à avancer de la trésorerie avant d’être remboursés en septembre.
La détermination du taux applicable au 1er janvier 2018 se ferait en plusieurs étapes :
Année 2017 : détermination sur la base des revenus 2016
Le taux de prélèvement serait calculé sur la base des revenus 2016 déclarés par les contribuables en mai/juin 2017. Il serait indiqué sur l’avis d’imposition (renommé « avis de situation déclarative à l’impôt sur le revenu ») adressé au deuxième semestre 2017 et s’appliquerait donc à compter du revenu perçu au 1er janvier 2018. Pour les salariés, ce taux serait indiqué sur la feuille de paie, et mis à leur disposition pour les autres contribuables (non-salariés). C’est à ce moment-là (été 2017) que le contribuable pourrait refuser l’application de ce taux et opter pour le taux neutre, comme nous le détaillons plus loin.
Année 2018 : Ajustement sur la base des revenus 2017
Le taux calculé sur les revenus de 2016 en 2017 serait appliqué jusqu’en septembre 2018 où un ajustement serait opéré en fonction de la situation de 2017, sur la base des revenus déclarés au printemps 2018.
Taux par défaut en cas de non-transmission :
Le mécanisme de détermination du taux de prélèvement et de transmission promettant d’être un vrai casse-tête pour les entreprises, sans parler des contraintes techniques fortes que le Gouvernement va sciemment faire peser sur les professionnels du chiffre, un taux par défaut serait prévu pour éviter les « non transmissions » de taux en 2017.
Voici la grille proposée pour les contribuables domiciliés en Métropole sachant que des grilles spécifiques sont prévues pour les Dom-Tom :
Possibilité d’opter pour le taux par défaut et pour des taux individualisés
La grande nouveauté qui n’avait pas été évoquée lors des annonces par le Gouvernement en 2015 et début 2016, est la possibilité qu’auraient les contribuables d’opter pour le taux neutre.
Ainsi, un contribuable pourrait refuser que l’administration fiscale transmette à son employeur le taux réel du prélèvement au profit du taux par défaut calculé uniquement sur le montant de la rémunération perçue. Cette mesure concernerait les contribuables disposant de revenus patrimoniaux importants et ceux voulant rester discret sur la composition et les revenus de leur foyer fiscal. Le but étant de préserver une certaine confidentialité et d’éviter des discriminations salariales. Cette possibilité serait conditionnée au fait que les personnes choisissant cette option versent au Trésor le différentiel d’impôt. Le contribuable devra donc tous les mois gérer lui-même son compte fiscal et procéder au versement complémentaire. On déconseille donc cette option pour les « phobiques administratifs » car des modalités de recouvrement forcé seraient prévues en cas de non versement du complément dans un certain délai.
Par ailleurs, autre mesure destinée à préserver la confidentialité, les couples mariés ou pacsés ayant de gros écarts de revenus auraient la possibilité d’opter pour l’application de taux individualisés en fonction de leurs revenus respectifs.
Le « mythe » de l’année blanche remplacé par un « crédit d’impôt exceptionnel »
Beaucoup ont imaginé 2017 comme une année blanche où l’Etat ne percevrait aucun impôt. Or, le Gouvernement a trouvé la parade et propose la mise en place d’un « crédit d’impôt exceptionnel de modernisation du recouvrement » égal à l’impôt sur les revenus de 2017 destiné à éviter un double paiement d’impôt en 2018. Ce crédit permettra d’annuler l’impôt qui aurait dû être versé sans le passage au prélèvement à la source. Les modalités de mise en œuvre de ce crédit mériteront d’être précisées.
A noter que pour les indépendants, si les revenus de 2017 s’avéraient supérieurs à ceux des années 2014, 2015, 2016 et 2018, un supplément leur serait demandé.
Changement de situation personnelle et ajustements du prélèvement
Le projet précise qu’en cas de mariage, divorce ou décès, le contribuable devrait informer l’administration fiscale dans un délai de deux mois, ce qui entrainerait nécessairement un nouveau calcul du prélèvement à la source.
Les contribuables pourraient moduler leur prélèvement « à la hausse » librement ; En revanche, la modulation « à la baisse » serait conditionnée à une baisse de revenus de plus de 10%. Dans ce cas, des pénalités seraient appliquées si le contribuable se trompait à son avantage, autant dire que les contribuables auront tout intérêt à faire preuve de prudence et à se faire assister pour un meilleur suivi.
Ce qui ne change pas : la déclaration d’impôt et les règles de calcul de l’impôt
La mise en place du prélèvement à la source ne modifierait pas le système de la déclaration de revenus à remplir au printemps de chaque année. De même, les modalités de calcul de l’impôt au travers du barème progressif, du système du quotient familial (nombre de parts du foyer fiscal) ainsi que des réductions et crédits d’impôt restent inchangées. La traditionnelle campagne des déclarations d’impôt de revenus au printemps serait maintenue ainsi que la réception de l’avis d’imposition fin août début septembre.
Ce qui changerait serait donc uniquement la date de recouvrement des impôts par l’administration fiscale.
Le risque existe donc si le projet était voté en l’état pour les couples mensualisés de devoir, dès le 1er janvier 2018, avancer de l’argent à l’Etat. En effet, les crédits d’impôt n’étant pas pris en compte dans le calcul du prélèvement, l’ajustement serait réalisable par remboursement en septembre 2018, après déclaration des revenus.
Dispositions particulières de lutte contre l’optimisation
Le projet prévoit que l’administration pourrait envoyer aux contribuables des demandes de justifications sur les revenus déclarés sans que ces dernières ne constituent un début de contrôle. Ce qui signifie que les contribuables seraient ainsi privés des garanties applicables aux procédures de contrôle et notamment du débat oral et contradictoire.
Par ailleurs, le projet prévoit le passage du délai de reprise (délai pendant lequel l’administration peut redresser un contribuable) de trois à quatre ans pour les revenus de l’année 2017. Le ton est donc donné par le Gouvernement d’une multiplication des contrôles et des vérifications, ce qui est assez logique car l’Etat se déchargerait du travail de perception des revenus sur les entreprises et les caisses de retraite notamment.
Conclusion
Seules la Suisse et la France n’ont pas mis en place à ce jour le prélèvement à la source sur les salaires. Mais les français sont-ils prêts aujourd’hui, dans un contexte économique et politique très tendu, à faire la « bascule fiscale » sachant que le Gouvernement lance le projet mais que sa mise en œuvre et les nombreux ajustements se feront après l’échéance électorale du printemps 2017. En effet, le projet tel qu’il est présenté avantage surtout les contribuables dont les revenus peuvent varier sensiblement à la hausse d’une année sur l’autre, mais il ne change rien pour les salariés et les retraités ayant des revenus stables. Certes, le Gouvernement a pris soin de préserver la confidentialité en permettant d’opter pour un taux neutre ou bien des taux différents pour les couples mais cela risque de complexifier le suivi du versement de l’impôt et d’engendrer des coûts supplémentaires pour les contribuables devant se tourner vers un conseil pour s’assurer du respect des nouvelles modalités de perception.
Par ailleurs, si le Gouvernement passait l’épreuve du débat parlementaire, il pourrait ensuite se heurter au Conseil Constitutionnel qui devrait probablement arguer du principe d’égalité devant l’impôt pour sanctionner certaines mesures, on est donc encore bien loin du 1er janvier 2018.
Pour conclure, ce qui nous paraît choquant dans ce projet, c’est d’une part, la position du Gouvernement qui se décharge sur les professionnels du chiffre et les entreprises privées pour jouer le rôle de collecteur à la place des services fiscaux. En effet, cela va générer des coûts pour la mise en place logistique et une charge de travail supplémentaire. Et d’autre part, il fait peser sur ses successeurs les ajustements techniques, logistiques, législatifs et réglementaires qui devront être effectués si ce nouveau système de prélèvement était voté afin qu’il devienne pleinement effectif.
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